Question de foi – « Se convertir » c’est « réparer la vie »
Dans l’une de ses récentes homélies, le Pape François évoquait ainsi la nécessaire cohérence chrétienne : « Devant un athée, tu peux lire toute une bibliothèque où il est prouvé que Dieu existe, il n’aura pas la foi. Mais si, devant ce même athée, tu donnes un témoignage de cohérence de vie chrétienne, alors quelque chose travaillera dans son cœur… » De la même manière, le Pape Benoît XVI soulignait l’importance que « les chrétiens grandissent en crédibilité ». Sommes-nous crédibles ? Comment l’être ? Tel est le point du départ de notre entretien avec le Père Michel Pagès.
En quoi pouvons-nous rendre témoignage de notre vie chrétienne ?
J’ai dans le cœur les mots de l’apôtre Paul : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges…, j’aurais être prophète…, j’aurais beau avoir toute la foi…, j’aurais beau distribuer tous mes biens…, j’aurais beau me faire brûler vif…, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis rien…Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité » (I Corinthiens, 13).
Le témoignage se révèle tout d’abord dans notre manière de passer du « faire » à « l’être ». Il faut toujours de tenter vivre ce que l’on annonce, avoir une certaine « unité de vie ». Les témoignages qui passent le mieux sont ceux qui font apparaître une unité profonde. Toutefois, il ne faut pas confondre la « cohérence » avec la « perfection » ; nos limites n’occultent pas notre crédibilité. On ne nous demande pas l’impossible, comme « de parler toutes les langues ou de se faire brûler vif ». C’est la charité qui doit nous conduire. A Lourdes Cancer Espérance, nous sommes souvent perçus comme crédibles parce que nous sommes passés du « faire » à « l’être ». Oui, mystérieusement, malgré la maladie ou la fragilité, quelque chose rayonne et passe.
Vous soulignez que le témoignage ne se « calcule » pas…
En effet, le témoignage ne résulte pas de notre seule intention. La cohérence ne nous appartient pas vraiment. Elle est comme un don, elle rayonne le plus souvent de notre vie, presque à notre insu. Le plus beau des trésors, c’est de recevoir une confidence telle que celle-ci : « Je vous ai vu et entendu, cela m’a interpellé et m’a fait réfléchir et avancer »… Le témoignage est là, parfois quand on n’en a même pas idée. Il arrive que nous soyons choqués par l’incohérence des autres, ce qui nous pousse à être autrement. Il arrive aussi que nous prenions conscience de notre propre incohérence. En fait, le témoignage ne dépend pas seulement de nous mais de la personne qui partage et qui accueille ce que nous sommes, dans une forme de réciprocité. A Lourdes Cancer Espérance, nous sommes témoins les uns pour les autres, souvent sans le dire, sans nous en rendre compte.
Qu’avons-nous à découvrir sur nous-mêmes ?
La recherche du témoignage strict peut altérer le témoin que nous sommes. Il y a une liberté qu’il nous faut vivre et découvrir. Le témoignage dépend d’abord de l’autre, et non de nous. Nous pouvons faire des efforts, et ils ont du sens, mais c’est l’autre qui nous renvoie à notre image.
Quelle est la part de la médiation dans le témoignage ?
Nous sommes tous porteurs de quelque chose. Nous ne témoignons pas seulement par les mots que nous disons, les actes que nous posons : la crédibilité dépend de notre relation aux autres. A Lourdes Cancer Espérance, nous vivons des choses tous ensemble. C’est ainsi que nous découvrons et vivons la médiation mutuelle.
Cela nous renvoie à notre foi…
Effectivement. Le Dieu des chrétiens se fait connaître par la médiation de l’Incarnation. Il envoie son Fils comme médiateur. Le Dieu Tout Puissant ne dit pas : « je suis Tout Puissant », mais il se dit dans la fragilité de son Fils qu’il veut vulnérable. C’est ainsi que l’on peut dire que le Christ est cohérent car sa Parole résonne avec toute sa vie. Le cœur du témoignage, c’est quand quelqu’un ne craint pas de dire ou de montrer sa fragilité. Il peut faire des choses belles et grandes, mais ce qui importe, c’est la manière avec laquelle il les fait, en reconnaissant qu’il demeure pauvre et fragile. Le Christ est authentiquement lui-même dans la faiblesse de la Croix. C’est le chemin par lequel veut nous faire grandir, en commençant « par le bas. »
Vous dites que, dans notre témoignage, il faut chercher la Vérité…
Nous avons tous des contradictions, des incohérences et cela nous limite. Il y a en toute vie des aspects plus obscurs, plus enchevêtrés, plus confus. Le cardinal Martini l’exprime très bien quand il dit, qu’au sein même de l’Eglise, certains témoignages ne passent pas en raison de nos contradictions. Il faut donc commencer par nous accepter tels que nous sommes, tout en continuant à chercher une relation libre. Nous n’avons rien d’autre à prouver que la recherche de la Vérité et la vérité sur nous-même. Et l’authenticité se joue d’abord dans nos relations avec les autres. Nous avons un témoignage à donner et un témoignage à recevoir. Dans la lettre aux Corinthiens, il est dit ; « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais »…(I Corinthiens 13). Nous ne sommes pas seulement dans la notion d’offrande, mais bien plus dans l’expression d’un « projet de vie » ou il faut donner de la chance au temps pour que les choses se révèlent. Patiemment « réparer la vie » et en révéler tous les trésors cachés…
Le Pape François dit que « le carême, c’est fait pour changer la vie »…
L’enjeu est le suivant : si nous corrigeons des choses dans notre vie, la joie pourra naître. Il faut quelque part « changer de vie », « réparer sa vie ». Personne n’est juste par lui-même. Seul Jésus nous justifie et nous révèle à nous-mêmes. Le signe que l’on « choisit la vie » se manifeste dans le choix de servir son frère. A « Lourdes Cancer Espérance », nous rencontrons des personnes qui ont été touchées par la maladie et qui tendent la main à leur tour. Nous touchons au témoignage authentique.
En quoi la fragilité est-elle source de richesse ?
La fragilité peut révéler une « liberté insoupçonnée », une forme de « libération » toute biblique, quand elle conduit à vivre des relations belles et fortes même lorsque l’on est malade, handicapé et que l’on sait que chacun de nous est fragilisé…
Le Pape François affirme dans son exhortation que « nul n’est exclu de la joie de l’Evangile »…
Il nous dit clairement que « la joie de l’Evangile n’est pas réservée à quelques-uns ». Nous sommes tous invités à être attentifs les uns aux autres. Même si nous avons une expérience balbutiante du Christ, nous sommes tous concernés par cette crédibilité, cette cohérence, ce chemin de vie. On va même pouvoir goûter à une joie : la joie existentielle que la vie nous amène à découvrir. Nous pouvons nous révéler les uns aux autres à cette joie. A Lourdes Cancer Espérance, nous parlons du « pèlerinage du sourire », c’est une manière de parler d’un rayonnement qui nous dépasse… La fragilité peut faire peur, alors qu’elle est un moyen. Le Christ a assumé cette vulnérabilité. Elle est devenue le signe du salut et de la joie pour tous.
Propos recueillis par Béatrice Rouquet
Photos Philippe Cabidoche