Question de foi – Les vacances

Père Pages

Entretien avec le Père Michel Pagès

« Avoir l’esprit de vacances, c’est avoir droit à une respiration »

Marc chapitre 6 (30-34)
Les apôtres se réunissent auprès de Jésus, et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné. Et il leur dit : ” Venez vous-mêmes à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu. “ De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux que les apôtres n’avaient pas même le temps de manger. Ils partirent donc dans la barque vers un lieu désert, à l’écart. Les voyant s’éloigner, beaucoup comprirent, et de toutes les villes on accourut là-bas, à pied, et on les devança. En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à les enseigner longuement.
Dans ce passage de l’Evangile, Jésus convie ses douze apôtres, de retour de leur mission, à se mettre à l’écart et à se « reposer ». Le Père Michel Pagès met en lumière cette Parole du Seigneur, qui est une invitation à « être vigilant » sur la façon dont on vit, à « prendre du champ » sans quitter la barque…

Dans quel état d’esprit les apôtres se trouvent-ils alors que Jésus les invite à prendre du repos ?

Le contexte est relaté dans l’Evangile de Marc, dès le verset 7. Jésus a envoyé les Douze en mission en leur donnant pouvoir sur les esprits impurs. « Il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route qu’un bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture, mais : ” Allez chaussés de sandales et ne mettez pas deux tuniques. “ Et il leur disait : ” Où que vous entriez dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous partiez de là. Et si un endroit ne vous accueille pas et qu’on ne vous écoute pas, sortez de là et secouez la poussière qui est sous vos pieds, en témoignage contre eux. “ Étant partis, ils prêchèrent qu’on se repentît ; et ils chassaient beaucoup de démons et faisaient des onctions d’huile à de nombreux infirmes et les guérissaient. »
De retour d’une mission difficile, éprouvante, décapante, les apôtres sont heureux de retrouver Jésus. Sans doute, pour nombre d’entre eux, le premier souhait est de faire partager leur enthousiasme, de dire ce qu’ils ont vécu. Cela fait penser à l’enthousiasme des jeunes prêtres, et plus largement, de tous ceux qui commencent dans la vocation chrétienne. Parmi eux, il y en a, peut-être, qui ont éprouvé des difficultés. Ils voudraient tout raconter, mais Jésus ne les écoute pas. « Venez dans un lieu désert », leur dit-il. Pour chacun d’entre eux, Jésus anticipe : il sait que pour chacun, la mission est exigeante et qu’elle peut devenir écrasante. Il propose à ses apôtres de se mettre à l’écart.
En quoi ce passage de la Bible nous éclaire-t-il sur le quotidien de la maladie ?
A travers cette invitation, Jésus montre l’importance de prendre du recul au cœur même de la vie. Beaucoup disent : « la maladie envahit toute ma vie ». On peut penser aussi à ceux qui, submergés par le travail et les activités, craquent. Il faut aller à l’écart avec Jésus. Il ne dit pas : « Partez loin », mais « embarquons ensemble vers un lieu désert ». Quelle est cette barque ? Il est courant de dire : « Je suis embarqué dans ma vie… », « Dans quelle galère je suis ! »…. Mais on ne peut pas quitter sa vie sur un claquement de doigt ! La maladie, les obligations, les problèmes nous rattrapent de toute façon. Partir avec Jésus, c’est la seule manière de se ressourcer pour poursuivre la route.

« Prendre des vacances », c’est aussi « se recentrer »…

La foi peut être spontanée, joyeuse, mais si nous sommes submergés par les affaires et les soucis, nous pouvons oublier cette joie. Jésus ne nous abandonne pas. Il reste solidaire. Que signifie alors : « prendre des vacances ? ». Partir loin ? Partir ailleurs ? Partir longtemps ? Peut-être… mais ce n’est pas si sûr. Jésus bénit les vacances. Il nous montre comment nous devons laisser venir cet ‘être avec Lui’. Quand on ne peut pas quitter sa maladie, avoir l’esprit de vacances, c’est avoir droit à une respiration. Il faut nous laisser surprendre. Jésus dit en quelque sorte : « Si tu es attentif à ta vie, je te ferai signe… Je te donnerai des opportunités d’être avec moi. » Le chrétien se reçoit de Jésus, lequel suggère en quelque sorte : « Prends du champ. Pense à autre chose. Pense à moi. » Il y a une manière chrétienne de « se reposer ».

Cette démarche est-elle facile à faire ?

Jésus nous surprend. Il nous propose de prendre du champ alors que l’on n’en voit pas la nécessité. L’enthousiasme, c’est beau ; l’affairisme, c’est coutumier ; l’embêtement, c’est souvent. Jésus nous invite à rester maîtres de notre vie. Jésus suggère ; à nous de vouloir ! Ce retrait va éclairer la vie autrement. Ce n’est jamais de la fuite… Cette maladie qui prétend envahir ma vie, j’apprends à la domestiquer. La notion de vacances chrétiennes s’inscrit dans une façon d’éduquer nos vies.

Vous dites aussi qu’il faut respecter le souhait de ceux qui se « mettent à l’écart »…

Ecrasées par la maladie, certaines personnes disent : « Pendant quelques jours, ne m’appelez pas. » Il faut le respecter. Je me souviens d’une grande malade, opérée une trentaine de fois. Elle m’a dit : « Je pars un mois en Nouvelle-Calédonie, où vit mon frère.» Elle a pris des risques. Elle savait qu’une opération était programmée à son retour, et cela aurait pu l’empêcher de mener à bien ce projet. Elle prenait du champ, et elle en avait le droit. Après ses vacances, elle a été apte à supporter une énième opération. On peut être signe de Jésus quand on permet aux autres de se reposer, qu’on leur donne cette liberté. Jésus vient au devant de nos préoccupations et de nos enthousiasmes.

Dans le désert du Néguev

Peut-on prendre des vacances sans partir quelque part physiquement?

Dans l’Evangile de Marc, la foule fait des pieds et des mains pour retrouver les apôtres ; tôt ou tard, elle va les rattraper. Parfois, on part deux jours mais c’est comme si on partait trois mois. On peut s’évader en lisant un livre… Jésus nous propose les vacances dont nous avons besoin. Il faut être inventifs, éclairés par Jésus pour trouver ce qui est bon pour nous. Dans l’Epître de saint Paul apôtre aux Romains, chapitre 12, il est dit : « S’il est possible, autant qu’il dépend de vous, soyez en paix avec tous. » Cela signifie qu’il y a une part qui dépend de nous. Dans la façon d’appréhender sa vie, ses obligations, sa maladie, il y a une part qui dépend de nous. Il ne faut pas chercher à tout planifier, à tout calculer.

Vous insistez sur l’attitude de Jésus qui reste « avec » ses apôtres…

Quand on est affairé, trop occupé, trop malade… on ne voit plus Jésus, on ne voit plus « le sens ». « Si vous êtes à l’écart, vous vous rendrez compte que je suis avec vous », semble-t-il nous dire. Dans le récit de l’Exode, Dieu parle à Moïse pour le peuple qu’il libère. Le peuple était esclave, mais le chemin de la libération n’est pas drôle… Ils regrettent les oignons et la soupe facile. Dieu dit à Moïse : « Fais-moi confiance. Je te donnerai moi-même le repos »… Tu es sur le chemin de la libération … même si c’est dépouillant et décapant.

Le repos est lié à la libération…

Dans l’Evangile de Marc, Jésus révèle à ses apôtres qu’ils sont libres, qu’ils ne sont pas esclaves de leur mission. Une patiente m’a dit un jour : « Si vous saviez comme je suis libre… » Elle est morte peu après. Elle puisait sa force dans la foi ; elle avait un retrait apaisant et salvateur. Elle avait fait cette découverte. Jésus concourait à sa liberté intérieure. Sur un autre registre, on peut penser aussi au témoignage de Maximilien Kolbe, qui a pris volontairement la place d’un père de famille destiné à être fusillé dans un camp de concentration. Il a passé ses derniers jours à entretenir l’espérance de ceux qui étaient autour de lui. Son attitude était celle d’un homme profondément libre.

Comment se ressourcer au quotidien ?

Les vacances peuvent permettre une ouverture nouvelle, offrir un silence qui fera grandir notre écoute. Visiter une exposition dans un musée, c’est faire un voyage intérieur. On accepte de quitter son mode de pensée habituel. Je me souviens d’avoir fait le choix, un jour que j’étais à Paris pour une formation et qu’une journée bien remplie s’achevait, de me rendre à une exposition sur Monet en nocturne. Il y avait un fil, une pédagogie que j’ai suivie et qui m’a fait voyager. Dans une exposition, on se laisse conduire pour entrer dans une culture, pour découvrir le don de l’artiste dans un domaine qui n’est pas le sien. Plus récemment, j’ai été très intéressé par l’histoire du tableau de sainte Anne, de Léonard de Vinci. Ce tableau a été restauré, et on a pu se rendre compte comment les premiers essais montraient une sainte Anne triste, à qui l’enfant Jésus était arraché. Et puis Léonard de Vinci a changé son coup de pinceau et l’attitude finale de sainte Anne est devenue celle de l’offrande. Elle ne retient pas ce qui doit advenir. Elle était un maillon du projet de Dieu. Quand j’ai lu le catalogue consacré à l’exposition, j’ai pris des vacances ! Je citerais encore ma rencontre avec un patient admis à l’hôpital après une bagarre. Il vivait dans la rue, reproduisant des toiles de maîtres, qu’il revendait pour gagner sa vie. Sur le marché, elles avaient un réel succès. Il m’a expliqué qu’on venait de lui voler ses toiles. Il m’a parlé de son « maître, Le Caravage. « Pourquoi Le Caravage ? », lui ai-je demandé, étant moi-même très sensible à cet artiste. « Parce qu’il est cabossé comme moi… » Pour cet homme, la peinture était sans doute son gagne-pain mais aussi une identification, un appel, un repère, une évasion.

On peut voyager en rencontrant les autres…

Etre avec un ami peut apaiser autant que trois semaines de vacances. Des rencontres sont permises et même légitimement conquises, qu’on n’attend pas toujours, mais qu’il nous faut saisir. Jésus veut nous donner des occasions de paix. Relisons et méditons le langage des Psaumes : « Le Seigneur est mon berger / Je ne manque de rien /Sur des prés d’herbe fraîche / Il me fait reposer / Il me mène vers les eaux tranquilles / Et me fait revivre/ Il me conduit par le juste chemin/ Pour l’honneur de son nom. » La tentation est grande d’enchaîner les événements et de pas profiter des instants. La tentation est grande de nous laisser comme enfermés par les soucis et même la maladie. Prenons du champ, laissons-nous inviter à « aller à l’écart », même « de l’intérieur » et accueillons Jésus dans nos vies. Il a quelque chose à nous dire, à l’intime et pour notre paix…

Propos recueillis par Béatrice Rouquet
Photos : Philippe Cabidoche