Question de foi – « Glorifiez Dieu dans votre corps » ( I Co 6, 20)
Revisiter l’année de la Miséricorde, en interpellant concrètement notre vie et notre corps…
1- Pour l’Eglise catholique, l’Incarnation marque un tournant fondamental… « Autrefois, Dieu incorporel et sans contours, n’était absolument pas représenté; aujourd’hui, puisque Dieu a été vu dans la chair et qu’il a vécu parmi les hommes, a pris visage…» (St Jean Damascène VIIe siècle). A notre époque, il ne suffit plus de dire que Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ; il faut ajouter que Dieu s’est fait homme pour que l’homme reste humain. L’évènement de l’Incarnation est celui d’une divinisation qui est aussi une humanisation, d’une Grâce qui ne détruit pas la nature mais la soigne en la surélevant. Dire « je t’aime » à quelqu’un, c’est d’abord dire « c’est bon que tu sois là, que tu existes ».
Dieu naît à l’homme dans cette corporéité en devenant relation, en prenant corps. Ainsi le chrétien ne doit pas avoir honte de son corps car il doit y découvrir Dieu. On a pu maladroitement voir le corps comme un obstacle pour atteindre Dieu, même en Eglise, alors que tout dit le corps… les sacrements où le corps est chemin de Dieu, où l’on touche et le cœur et le corps, la grande réalité de l’Eucharistie, « ceci est mon corps ». Le corps enferme s’il est « limitation », il ouvre s’il est « « communion » !
« Etre ressuscité » veut dire ouverture à la vie, don de soi pour une plénitude de vie. « Corps, dans le langage de la Bible, désigne toute la personne dans laquelle le corps et l’esprit sont indissociablement unis. Ceci est mon corps, veut dire : ceci est toute ma personne, présente en mon corps ». (Cardinal Ratzinger « Dieu nous est proche » cerf 2003). Comment « glorifier Dieu dans son corps » ? (I Cor 6, 20). Comment habitons-nous notre propre corps ? Peut-être devons-nous nous réconcilier avec notre corps ? Peut-être devons-nous interroger ces réalités d’un corps complexé, malade, handicapé, vieillissant, au travers des étapes de vie…
4- Cela nous permet d’entrer dans ce que l’Eglise appelle « les œuvres de miséricorde » qui sont bien concrètes et parce que « l’homme est la première route et la route fondamentale de l’Eglise » écrivait St Jean Paul II/Redemptorhominis 14.
« Nourrir ceux qui ont faim ». Certes il y a faim et faim, mais donner du nécessaire c’est comme un don de soi, donner du superflu c’est de la justice.
« Donner à boire à ceux qui ont soif ». Là encore, il y a soif et soif, mais il faut nous sentir solidaires « de la maison commune qu’est la terre » dit le Pape François et le problème de l’eau est réel. C’est aussi accepter de donner à boire sans se demander ce que l’autre en fait…
« Vêtir ceux qui sont nus ». Il y a une dignité qu’il importe de vivre jusque dans le vêtement, car au baptême, nous avons « revêtu le Christ » mais il y a aussi un appel à ne pas nous arrêter aux apparences.
« Donner un toit aux sans logis/accueillir les étrangers ». Sommes-nous réellement des êtres de relation, d’accueil ? La paix rayonne-t-elle de nos lieux de vie ?…
« Visiter/assister les malades ». Sommes-nous attentifs à la fatigue ordinaire de nos proches ? Sommes-nous capables de sortir de notre cercle pour aller vers les fragilisés de la vie, d’ouvrir la porte d’une chambre, d’une vie, d’un cœur ?…
« Racheter les captifs/visiter les prisonniers », Qui est prisonnier et de quoi ? Y sommes-nous attentifs ?
« Ensevelir les morts », comment vivons-nous la mort d’un proche, de celui qui nous est confié ? Ne jamais oublier que nous sommes tous des « héritiers » et que nous sommes, les uns pour les autres, des témoins d’éternité.
« Conseiller ceux qui doutent », Jésus lève le doute fondamental en nous disant que nous venons de Dieu et que nous sommes aimés par lui. Sommes-nous instruments de cela ? Quelle place à l’écoute avant de conseiller, d’aider ?
« Enseigner les ignorants ». Quel est notre langage ? Quelle gratuité afin de pouvoir donner une nourriture que l’autre voudra bien entendre et recevoir ?
« Consoler les affligés ». La vie est pleine d’afflictions, de peines et de tristesses à consoler, jusque dans le plus quotidien. L’amour est inventif, il peut entendre et trouver des langages pour quitter les zones d’ombres.
« Avertir les pécheurs », savoir secouer la poussière de ses pieds tout en ne jugeant pas, ne condamnant pas, car le jugement est à Dieu seul. Saisir les occasions pour s’expliquer, éclairer la conscience car c’est cela la vocation de l’Eglise…
« Pardonner les offenses ». Il y a les blessures du quotidien, les plus fréquentes, où il faut faire l’expérience du pardon afin d’aller plus loin…parfois inverser les rôles, comme des parents qui osent demander pardon à leurs enfants.
« Supporter les personnes ennuyeuses ». Jésus a bien supporté les écarts des Douze ! Supporter les défauts ordinaires, la répétition, les agacements…parfois donner le sourire de la gratuité quand on ne sait quoi dire…
« Prier pour les vivants et les morts ». La Miséricorde, c’est parfois s’épancher vers l’autre que je ne peux atteindre autrement que par la prière…, car parfois il n’y a que la prière, et la prière c’est aussi agir !
5- Le corps est le lieu de la relation, c’est aussi le lieu de la communion là où le péché s’impose parfois et fragilise. Le corps est le lieu même de l’Espérance qui invite au pardon et à la réconciliation. Le peuple saint de la Bible a compris progressivement que, quelque part, la maladie interpelle sur la blessure originelle de l’homme, sur le sens du péché, sur la réalité du mal. Et le Seigneur se révèle alors, non seulement comme celui qui guérit mais aussi comme celui qui sauve et pardonne, « ta foi t’a sauvé » (Mt 9, 22).
Mesurons-nous bien que le sacrement de la réconciliation est le lieu éminent de la miséricorde ? « Les pécheurs demeurent dans le sein de l’Eglise, de corps et de cœur » écrit le concile Vatican II (LG 14). Le lieu de la rencontre avec Jésus révèle mon péché mais, en même temps, la certitude que Dieu guérit. « Oser vivre un peu de honte mais qui nous prépare à l’étreinte du Père », écrit le Pape François.
« La foi et la confiance en la miséricorde passe par la Bible de la misère humaine », écrit-il encore. « Il me semble que l’âme la plus faible ou la plus coupable, est celle qui recevra le plus de bien, car, au centre d’elle-même, un Sauveur veut à tout instant, la purifier » (Elisabeth de la Trinité). N’ayons pas peur de nos blessures, des combats. Donnons toutes chances à la confiance, au temps, à la bienveillance, à l’encouragement…
Père Michel Pagès,
aumônier national LCE
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