Question de foi – La Création doit nous permettre de nous ouvrir à plus grand que nous

Père Pages

Entretien avec le Père Michel Pagès

“La Création doit nous permettre de nous ouvrir à plus grand que nous”

Saint Augustin disait que « la Création est notre première Bible. » Le premier acte de Dieu s’inscrit dans celui de la Création afin de nous engendrer à la vie. « Dieu a fait l’homme à son image », témoignant ainsi de la valeur de tout homme. Désireux d’aider l’homme à se libérer, il donne au monde son Fils Jésus. Dans notre histoire, il nous revient de voir et d’entendre les appels de Dieu pour pouvoir, nous-mêmes, faire « signe ».

Entretien :

Vous aimez à dire qu’il faut « revenir à la Bible comme une parole qui nous est donnée. » Quand Dieu créa le monde, il vit « toutes choses qu’il avait faites et les trouva très bonnes » (Genèse). Dans « Prier 15 jours avec Saint Jean de la Croix », le chanoine Constant Tonnelier souligne que « Dieu a regardé toutes choses par la figure de son Fils ». Le Créateur a voulu que ses dons le soient de façon achevée et parfaite : « Tout ruisselant de mille grâces, / en hâte, il traversa nos bois, / dans sa course, il les regarda, / sa figure qui s’y grava/ suffit à les laisser revêtus de beauté. »

Le premier signe de Dieu, c’est celui d’une Parole et d’une Parole efficace. La lecture de la Bible a vocation à « ouvrir » notre regard. Oui, le premier acte de Dieu, c’est la Création. Du néant a jailli quelque chose. Tout ce qui nous environne a vocation à nous rappeler à quelqu’un qui « est », à l’inverse du néant. En nous engendrant à la vie, Dieu s’engage avec nous. On peut retrouver Dieu par l’infiniment petit sous l’objectif d’un microscope, ou l’infiniment grand dans l’expérience de la montagne, de la mer ou le merveilleux équilibre des éléments. L’acte créateur, c’est la première alliance, le premier « signe ».

Vous soulignez que « tout nous renvoie à Dieu par la Création »…

L’Eglise pose cette affirmation, non pas au sens païen du terme qui pourrait trouver le « sacré » dans une pierre ou tout autre élément de la nature, mais dans l’approche que nous devons avoir par rapport à la vie. Quand on touche à la Création, on peut agir de façon irrévérencieuse, comme c’est le cas par exemple dans les domaines de l’éthique. Dans cette perspective, on peut prendre la mesure de ce que l’on peut qualifier de « biblique » au niveau, par exemple, de la protection de la vie ou encore de l’écologie. Il revient à chaque homme, à chaque créature d’accueillir le don de l’acte créateur et de respecter ce don.

Vous mettez l’accent sur le fait que Dieu «nous a créés libres et responsables»

Dans la Genèse (1, 28-30), on peut lire ceci : « remplissez la terre et soumettez- la »… Autrement dit : « cultivez et engendrez la vie ». Dieu nous donne les moyens pour y parvenir. Nous avons une liberté souveraine, mais aussi, une responsabilité.

Cela nous invite à la confiance…

Quand on est malade, l’un des premiers réflexes, c’est de douter de la place qui est la sienne. L’un des appels que lance Dieu se résume ainsi : « confiance ».

Vous dites que l’homme est « au sommet de la Création »…

L’espérance est concrète, incarnée. Dans la Création, on est au prise avec le réel. On perçoit la place de l’homme qui se situe au sommet de la Création. Certains le contestent, prétextant que, si l’on considère cet argument, l’homme écraserait les autres créatures et que, d’une certaine manière, il n’a cessé de le faire. Mais il ne s’agit pas de cela. Ce qui est créé « autour de l’homme » n’est pas moindre : c’est à sa place, à sa « juste place » et l’homme à la sienne.

Il importe aussi d’observer que Dieu intervient dans l’histoire concrète des hommes…

Après le premier acte qui est celui de la Création, Dieu pose un second temps et choisit Abraham pour en faire « le père des croyants ». Dans le chapitre 12 de la Genèse, il est dit: « Je te donnerai un pays, je te bénirai et en toi seront bénis tous les peuples. Je ferai de toi le père d’une multitude. » De la même manière, dans le chapitre 3 de l’Exode, on entend ce cri : « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte. J’ai entendu son cri, je connais ses angoisses. » La réponse de Dieu à Moïse est celle-ci : « Je serai avec toi car c’est moi qui t’ai envoyé et voici le signe que je te donne ; quand tu feras sortir le peuple d’Egypte, là vous servirez Dieu sur cette montagne. » Dieu s’engage et il donne un gage, c’est la promesse d’une libération.

Dieu intervient pour nous libérer…

Quand Dieu aide quelqu’un à sortir d’un esclavage, il démontre qu’il est à ses côtés. Ceux qui croient en Dieu observent qu’il s’engage avec eux et qu’il fait œuvre de libération. On est invité à lire Dieu dans ce qui nous environne. Abraham s’illustre par une foi libre. Au cœur même de l’épreuve la plus terrible, celle qui touche à son enfant, Abraham va écouter et accepter l’épreuve. A cet instant Dieu s’adresse à lui : « Je voulais mettre ta foi à l’épreuve. » Quand on est éprouvé dans sa chair, dans sa vie, dans ses relations, on peut douter. De la même manière, avec Moïse, Dieu s’engage. « Je te libérerai quoi qu’il arrive », dit-il. Nous avons tous plein de « mer Rouge » à traverser, plein d’épreuves à vivre, de combats à mener et de confiance à vivre.

Vous dites que « l’homme a été créé à l’image de Dieu ». Mais lui est-il toujours fidèle ? Et que dire quand la maladie ou le handicap s’inscrivent au cœur d’une existence ?

Mystérieusement, mon frère malade me renvoie à la notion de « dignité » et en même temps, à l’image de l’homme qui peut être « tordue », « cabossée ». Si nous sommes créés à « l’image de Dieu », cela ne signifie pas que nous sommes « parfaits ». Il faut lire et relire l’histoire des peuples, prendre la mesure du long travail des siècles, de l’évolution spirituelle pour y voir une avancée, avec des hauts et des bas. Nous sommes façonnés dans nos fragilités. Seul Dieu est absolu. Son acte premier est bonté et générosité. Or l’image imparfaite qui est la mienne me permet de reconnaître l’auteur de mon existence : Dieu Amour. Je reconnais le besoin de retourner à cette source. Interrogeons-nous : qui vois-je dans la faiblesse de l’autre ? La vie est fragile, nous sommes tous limités. Dans la création, quand bien même certains moments de l’histoire nous paraissent « cabossés », jusque dans l’histoire de l’Eglise et notre propre histoire, il faut lire l’image parfaite qui est derrière : non pas la nôtre mais celle de Dieu qui œuvre en nous !

Vous indiquez que le message de Lourdes est « profondément biblique et évangélique »…

La grâce de Lourdes, c’est que les « cabossés » et les blessés sont les premiers. La pertinence de « Lourdes Cancer Espérance », c’est de révéler que le cancer est un défi majeur. La maladie pourrait avoir la prétention de nous faire oublier la dignité d’une personne. Or il nous appartient de reconnaître Dieu dans une vie mise à l’épreuve par le cancer. L’expérience du pèlerinage nous le démontre. Dieu est présent parmi nous.

Le signe que Dieu nous donne, c’est celui de la libération…

On y revient toujours quelles que soient nos chaînes, Dieu nous a fait une promesse tout au long de la Bible : celle de la libération. Dieu nous donne les moyens de nous libérer et de façon ultime par la grâce de son Fils Jésus. Le génie du christianisme, c’est l’Incarnation. Dieu nous donne « la chair de sa chair ». On ne peut pas opposer l’acte créateur et l’Incarnation. Quand il est dit : « Dieu vit que cela était bon », on perçoit le regard bienveillant de Dieu. C’est alors qu’apparaît la notion de confiance : J’ai foi en ce Dieu qui m’a créé, qui m’a voulu à la vie et qui ne cesse de me libérer.

Vous dites que « Dieu nous veut vivants… »

A Taizé, le frère Roger croyait en la capacité des peuples à se réconcilier et, au sortir de la guerre, il a œuvré dans ce sens, pour les générations à venir. Aucune vie n’est appelée à sa perte. Si je viens d’une intention, celle de Dieu, alors il me veut vivant, quoique parfois « tordu ». Il m’est demandé d’avoir confiance. Jésus aime à parler de l’alliance éternelle. Il faut y voir une suite de la première alliance avec la Création. Prêtons attention au récit qui institue l’Eucharistie : « le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés ». Quand est présentée l’alliance nouvelle, Dieu ne renie pas sa Parole. Cette alliance n’a pas vocation à réduire la première, elle l’accomplit !

L’existence de Dieu peut-elle être mise en doute par celle du mal ?

On dit parfois : « si Dieu était si bon, tout serait parfait.. » On touche là à un aspect de la foi. Si l’acte premier est bon, mystérieusement, nous faisons le constat d’une « blessure ». Les jeunes doutent parfois de Dieu à cause de l’existence du péché. Rappelons-nous cette phrase de Saint Paul : «Je ne fais pas toujours le bien que je voudrais faire, et je fais le mal que je ne voudrais pas faire. » Toutefois, cette blessure ne doit pas nous empêcher de professer que l’acte premier est bon. De manière un peu prosaïque, je dirais que dans notre humanité, quelque chose s’est « tordu » que Jésus vient « détordre ».

La maladie n’invite-t-elle pas parfois à se tourner vers l’essentiel ?

On peut se découvrir « tordu » par la maladie, mais malgré tout, on peut revenir à l’essentiel. On peut redécouvrir le précieux de son environnement, les liens qui nous sont essentiels, l’importance aussi de la nature… Et on laisse de côté le reste. On est invité à « voir » avec un regard neuf ce que la maladie prétend nous empêcher de voir, toutes ces choses qu’on ne voyait plus.

Dans l’Evangile, il est souvent fait référence à des images tirées de la nature…

Jésus aime à parler des graines, des oiseaux du ciel… Il ne cesse de nous renvoyer à la Création. « Observez les lys des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. » Jésus montre l’équilibre que porte la Création. L’homme est souvent en déséquilibre, mais il peut se ré-équilibrer dans la contemplation de ce qui l’environne, y compris dans ses relations.

La création nous renvoie à des rythmes…

L’homme moderne semble se moquer des rythmes, parfois il veut instaurer le sien. Il veut aller plus vite. Or Dieu dit : « Soumettez la terre ». En cela, il nous renvoie à notre liberté, mais la nature porte son propre rythme. Quand le blé pousse, l’ivraie pousse avec. Si je coupe l’ivraie, je coupe tout. Il ne faut pas trancher trop vite, conclure trop vite. On peut aussi se référer à la guérison de l’aveugle par Jésus. Dans un premier temps, il n’y voit pas clair : « Je vois comme des arbres… » Alors Jésus intervient à nouveau et la vision devient progressivement plus nette. En beaucoup de situations de vie, il y a « le temps de l’enfièvrement », puis celui de « la convalescence ». Il faut que la fièvre monte puis qu’elle redescende. Les, « rythmes » sont au cœur même de la vie.

A « Lourdes Cancer Espérance », on mesure toute la « sagesse » acquise parfois au cœur-même de l’épreuve…

Est sage celui qui accepte certains rythmes. La maladie peut humilier. Personne ne mérite d’être malade. J’entends souvent au CHU et ailleurs, face à l’épreuve, « il, elle ne méritait pas cela ! » Qui mérite quoi ? Qui peut le dire ? Mais si on réagit comme le ferait un enfant gâté, on dit : « je veux tout et tout de suite. » Or l’adulte lucide sait qu’il ne peut tout avoir et tout de suite. La Création nous renvoie à cette sagesse. Jésus s’y soumet quand il prend notre humanité. Quand il dit : « Que cette coupe s’éloigne de moi ». Il accepte le temps de l’humiliation par amour, pour nous libérer. Parfois il y a des rythmes qui nous paraissent trop longs mais qui ne sont pas inutiles. Il arrive que l’on comprenne mystérieusement après !

Ne sommes nous pas invités à « ouvrir » notre regard ?

Dans la Création, nous avons quelque chose à découvrir… qui va nous aider à traverser l’épreuve, à trouver un autre rythme. Le propre de Dieu c’est de « faire signe ». On peut passer à côté d’un beau paysage sans le voir. Mais il peut y avoir un évènement déclencheur qui, un jour, nous fait dire : « c’est beau ! ». Dans l’expérience de la maladie certains confient : « Mystérieusement, au cœur de mon épreuve, j’ai compris le signe ». C’est une expérience d’ouverture ! Devenir capable de voir Dieu dans les autres. Nombre de biographes disent que Bernadette elle-même était « sujette aux agacements, et parfois peu docile ». Son chemin de conversion va lui permettre de s’ouvrir de plus en plus aux autres, de servir et même de s’oublier ! « Ce qui me concerne, ne me concerne plus » dira-t-elle…

Que faut-il entendre par « conversion » ?

Le péché ne renvoie pas uniquement au mal que l’on fait mais aussi au bien que l’on ne veut pas faire. On peut dire : « je suis un super héros, j’ai vaincu mes faiblesses… » et s’arrêter à ce constat ! Mais qu’est ce que cela s’il n’y a pas d’ouverture aux autres ? La Création doit nous permettre de nous ouvrir à plus grand que nous, plus beau que nous, autre chose que nous. Se convertir, c’est dire : « J’ai fait l’expérience de Dieu ; je suis guéri de quelque chose ». La conversion n’est pas loin de la guérison. Parfois on dit : « Je voudrais que le monde soit comme ceci ou comme cela. » Or, si on voit le monde tel qu’il est, on prend conscience qu’il est plus beau qu’on ne le croit, en commençant par ce qu’il y a de beau dans ma vie…et celle de mon prochain !

Cela n’est pas sans rappeler le « fiat » de Marie. « Qu’il me soit faite selon ta Parole »…

Marie a compris ; Dieu a sur elle un projet qui est plus grand qu’elle et au-delà d’elle mais qui passe par elle ! Quel chemin a-t-il fallu accomplir pour dire cela ! Beaucoup de choses peuvent nous permettre de voir que Dieu « fait signe ». Il s’agit souvent d’événements que la vie nous impose. Avec ce que l’on est, Dieu peut nous faire « devenir signe ». Moi-même, je peux « être signe » pour l’autre qui est mon frère. Avec la Création, on est invité à reconnaître l’œuvre de Dieu qui est grande et belle. Marie est entrée dans ce projet spontanément et nous ?…

Propos recueillis par Béatrice Rouquet
Photos : Philippe Cabidoche