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Edith Piaf et Thérèse de Lisieux : une belle histoire d’amour

  Hugues Vassal, photographe, reporter et écrivain

Pour celui qui aime, la foi rend possible ce qui, au premier abord, semblerait hors de portée. Sans doute, est-ce là tout le « message » d’Hugues Vassal qui, à 83 ans, est de ceux qui disent avec Edith Piaf : « Je ne regrette rien », comme pour mieux remercier le Seigneur de ce qu’Il lui a permis de connaître, alors même qu’il n’a jamais cessé d’aimer et d’inventer.

Hugues Vassal ne regrette rien mais il n’a pas oublié non plus les grâces qui ont jalonné sa vie. Comment le pourrait-il lui qui, en 1957, croisa la route d’Edith Piaf alors que rien ne semblait l’y prédisposer ? Journaliste stagiaire à France Dimanche, il était sans le sou, inquiet de son avenir, sans autre horizon que la rubrique des « chiens écrasés » pour lequel on le sollicitait. Et puis, un jour, la chance – ou la Providence – s’en mêla. A l’heure du déjeuner, alors que ses confrères riches et de renom étaient partis faire ripaille, il était resté sur place pour manger un sandwich. Aussi quand « la môme Piaf » téléphona au journal pour demander la présence d’un photographe le soir-même, Hugues Vassal prit le seul train en partance pour Dijon, sans savoir que sa vie allait prendre un nouveau chemin.

Les années ont passé mais le souvenir est resté. Il raconte volontiers la façon dont, en une fraction de seconde, Edith le prit en sympathie, et tout ce qui arriva par la suite. « Elle a fait de moi son photographe attitré. Elle m’a tout appris ; elle voulait se montrer telle qu’elle était, tantôt lumineuse, tantôt malade et souffrante, mais toujours en vérité. Toutes ces photos devaient lui permettre d’être proche de ceux qui l’aimaient. Au pied de l’estrade, le peuple venait déposer ses souffrances ; Edith, qui ressemblait à ces êtres de faible condition, chantait pour eux, et leur redonnait le sourire », témoigne-t-il aujourd’hui.

Edith, sa « bonne fée » se révéla aussi comme sa « sœur sentimentale en esprit » ; comme lui, elle cultivait le même souci de faire « apparaître l’autre ».  Leur profonde amitié s’est construite sur la même façon d’envisager l’humanité, et il y eut encore d’autres signes qui les rapprochèrent au-delà de la disparition d’Edith, en 1963.

Souvenons-nous comment Edith, à cinq ou six ans, fut placée sous la protection de Thérèse de Lisieux alors qu’elle souffrait d’une kératite qui menaçait de la rendre aveugle. A l’initiative de sa grand-mère paternelle, qui tenait une maison close, Edith fut conduite sur la tombe de la petite fiancée de Jésus. Quand, peu après, la guérison survint, il n’y eut aucun doute dans l’esprit de ces femmes au cœur simple : Thérèse les avait entendues.

La petite robe noire d’Edith

Dans « Edith et Thérèse, la sainte et la pécheresse », aux Editions du Signe, Jacqueline Cartier et Hugues Vassal ont entrepris un travail exigeant pour restituer l’histoire de ces deux destins, dont on apprend qu’ils étaient liés aussi par un arbre généalogique. Arrêtons-nous un instant sur ce que disait Edith quand on lui demandait pourquoi elle était fidèle à sa petite robe noire. « C’est difficile à expliquer », disait-elle. « Ou plutôt non c’est simple. On entre en scène comme on entre en religion. Ma petite robe, c’est comme le voile noir de sainte Thérèse, à la fois une protection et un dépouillement. En scène, je leur donne tout, je ne garde rien pour moi. » Et encore : « Ma robe noire, c’est mon habit de lumière, mon armure. Une scène, c’est un champ clos, une arène. Il faut combattre, il faut gagner. Comme Thérèse l’a fait. C’était une ‘pêcheuse d’âmes’, Moi aussi, je vais les ‘pêcher’. Mais il faut avoir Dieu avec soi. Si un jour je perdais la foi, je ne pourrais plus chanter. »

Quand il la rencontra à la fin des années 50, Hugues Vassal n’eut de cesse d’admirer silencieusement la pureté d’Edith qui, dans une ferveur profonde, se confiait à Thérèse, quand bien même venait-elle de faire quelque « farce ». Mais ce n’est que trente ou quarante plus tard qu’il fit lui-même la rencontre avec celle que le Pape Jean-Paul II s’apprêtait à nommer « docteur de l’Eglise ».

Désireux de « rendre ce qu’il avait reçu », dans sa vie et dans sa foi, il prit la route avec Isabelle, sa femme, pour porter les reliques de Thérèse dans le monde chrétien, avec la conviction que, sur Terre, la sainte n’avait jamais cessé de faire pleuvoir des roses. Fidèlement, ils ont accompli leur équipée à travers le monde, y compris à l’heure de se recueillir au camp de Dachau.

Hugues, Edith, Thérèse montrent que, dans l’ordinaire d’une vie, se déploie quelque chose d’unique, qui a sa place dans l’histoire de l’humanité.  Si leur témoignage personnel nous instruit, n’est-ce pas d’abord qu’au-delà de ce qu’ils disent avec les mots, ils sont eux-mêmes le « message » ?

Solène, jeune photographe talentueuse et fille spirituelle d’Hugues Vassal, en est persuadée. En 2004, elle a croisé sa route, suivant les pas de celui qui, après la mort d’Edith, participa entre autres à la fondation de l’agence Gamma. Depuis plus de dix ans, elle est à ses côtés et observe ce qui le pousse à aller de l’avant. Comment n’aurait-elle pas vu ce qui fonde sa vie et qui lui fait répéter à l’envi : « Dieu est à l’intérieur de nous » ?

N’est-ce pas lui qui, à 18 ans, est tombé sous le charme d’Anna, une jeune femme juive, russe et communiste, avec laquelle il vécut 35 années ? Une histoire d’amour qui lui valut alors la réprobation de sa famille. S’il se définit comme « chrétien non conventionnel », il a donné naissance il y a 60 ans à une fille confessant la religion juive, et voici plus de 40 ans, il a adopté un jeune Iranien, aujourd’hui musulman.

S’il a connu le succès, Hugues Vassal a aussi vécu de dures épreuves quand, au début des années 80, il a traversé une longue traversée du désert. « J’avais tout perdu, y compris la santé. Accueilli par un ami à Nevers, je me rendais chaque jour dans une chapelle désaffectée pour prier Edith. Un jour, le soleil est à nouveau rentré dans ma vie. Je me souviendrai de ce que, dans un songe, j’ai reçu comme une promesse : ‘Ne crains rien, je suis là.’ J’ai pu retrouver la force de m’en sortir. Peu à peu, j’ai remonté la pente, j’ai retrouvé l’énergie de m’engager dans de nouveaux projets, avec une conviction chevillée au cœur : ‘Aide-toi, le Ciel t’aidera’. »

Toujours, Hugues Vassal cherche à « réconcilier les hommes entre eux ». Il sait que chaque acte d’amour compte, lui qui s’est toujours comporté en homme de parole et de foi. Désireux de donner à entendre le témoignage d’Edith aux jeunes générations, Hugues Vassal ne cesse de multiplier les projets aux côtés d’Isabelle, son épouse, et de Solène qui l’assiste à chaque étape. Livres, expositions, spectacles… Tout ce qu’il met en œuvre est né d’un constat, mais aussi d’une conviction : « Nous vivons dans une société où la morale religieuse tend à disparaître. Nous sommes pris dans le tourbillon de la vie, anesthésiés par la télévision, la musique, les produits de consommation. Les gens ne savent plus faire front aux angoisses qu’une autre génération parvenait à compenser par des croyances, qu’elles soient chrétiennes, juives, musulmanes ou autre. C’est là qu’Edith Piaf peut jouer un rôle auprès du plus grand nombre en apportant une espérance. »

Aussi, il a co-écrit un livre magnifique avec Jacqueline Cartier, « Edith et Thérèse, la sainte et la pécheresse » : « Ce sont deux destins qui se ressemblent. Thérèse était habitée par un amour d’une puissance énorme pour Jésus ; un amour intense et violent. Edith a beaucoup aimé les hommes, et elle avait aussi un grand amour pour l’être humain. Je suis convaincu que la foi d’Edith peut parler à toutes les générations. Au-delà de ses excentricités, elle s’est montrée exemplaire dans sa vie. » Dans son salon, Hugues Vassal a placé une rose entre les images d’Edith Piaf et de Thérèse de Lisieux. Au soir de sa vie, des rêves pleins la tête, il continue de travailler, convaincu plus que jamais qu’il a « beaucoup reçu », mais aussi « qu’il doit donner une bonne partie de lui-même pour remercier tous ceux qui, sur Terre ou dans le Ciel, l’ont accompagné. »

Dans l’exposition consacrée à Edith Piaf, il n’oublie pas de mettre en exergue la citation de Jean Cocteau, qui fut un ami fidèle de cette dernière : « Un artiste peut ouvrir, en tâtonnant, une porte secrète et ne jamais comprendre que cette porte cachait un monde. » Hugues Vassal en est persuadé : « Je me sens habité. Edith est là, quelque part. Son âme est parmi nous. Dans les pas d’Edith, je m’efforce d’être missionnaire pour faire de ma vie un message d’amour.»

Béatrice Rouquet

Une question à … Hugues Vassal.

Quelle conception avez-vous de votre métier ?

« Quand je travaillais à France Dimanche, le grand journal populaire de l’époque, j’avais la conviction que, plutôt que d’obliger les gens à lire la Bible, il fallait qu’ils découvrent le témoignage d’humanistes chrétiens. Au cœur d’un reportage scabreux, on peut toujours insérer la phrase qui va apporter un peu de lumière. J’ai voulu le faire avec l’agence Gamma, que j’ai co-fondée, mais je n’y suis pas parvenu. L’un de mes grands projets était d’illustrer la Bible avec des visages d’aujourd’hui. Je crois à la force et à l’impact de la photo. Je ne parle pas de faire de la photographie  « attendue ». La photo est capitale pour inciter les gens à réfléchir sur le sens de leur vie. Je voudrais confier à Solène cette mission, qu’elle ait cette vision exigeante de l’art photographique. Mon projet de l’époque était de partir trois ou quatre ans, et de parcourir le monde, une Bible sous le bras. A la manière de ce que j’avais fait pour Edith Piaf, je voulais mettre en scène des gens qui avaient un vécu. Tout le monde l’aurait lu comme un grand roman, et cela aurait suscité la réflexion. Ce travail, s’il avait pu se concrétiser, m’aurait pris de cinq à dix ans. J’aurais pu le faire encore il y a dix ans, mais plus maintenant. C’était pourtant une idée qui me tenait à cœur. »

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