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Charles Le Quintrec : « Le bonheur, ce n’est pas autre chose que l’amour »

Entretien paru dans la revue LCE de juillet-août-septembre 2007
Charles Le Quintrec, Grand Prix catholique de littérature 2007

Originaire de Bretagne, Charles Le Quintrec a publié une oeuvre poétique et romanesque abondante. En 1978, il a obtenu le Grand Prix de poésie de l’Académie française et, en 1981, le Grand Prix de la Société des Gens de lettres. Aux éditions du Champ Vallon, il a dit son amour pour « Lourdes » alors que sa mère vouait un véritable attachement à Bernadette Soubirous. Dans une revue LCE, parue en 2007, Charles Le Quintrec, qui avait obtenu cette même année le Grand Prix catholique de littérature, évoquait son parcours et la foi qui l’animait. Entretien.

CharlesLeQuintrec (Photo : Jean-Pol-Stercq, droits réservés)

Dans « Une enfance bretonne », vous écrivez : « Chez nous, on faisait un festin avec trois pommes de terre, des châtaignes et des noix. Le paysage entrait en ligne de compte et nous rassurait. Nous étions heureux dans le dénuement du campagnol et du mulot. Nous étions comme ces gens d’Afrique et d’Asie que l’on voit à la télévision et qui se vivent d’espérance. (…) Le bonheur nous l’allions chercher dans l’absence de tout confort. » Quelles sont les valeurs qui ont marqué votre enfance ? Avez-vous une définition personnelle du bonheur ?

J’ai eu la chance de naître dans une famille chrétienne et dans un monde encore miraculeusement préservé. L’air, l’eau, les fleurs, les arbres, les oiseaux, la lumière – tout cela dont nous savions le prix -, nous était donné pour rien, à croire que le Seigneur veillait à ce que dans notre pauvreté rustique, nous fussions riches du nécessaire, de l’essentiel et de ce superflu qui allait aux mendiants qui passaient par notre village.

Du haut d’une lande farouche, ce village dominait un vallon où, entre saules et peupliers, serpentait une rivière sur le bord de laquelle, avec trois cailloux et trois libellules, j’appris à suivre le Seigneur, de la pastorale de sa naissance jusqu’à la nuit de sa passion. Plus que sur le bord de la rivière, c’était devant le feu de notre cheminée que ma mère m’instruisait d’une histoire unique, d’une histoire antique – qui venait d’avoir lieu – dans laquelle il me fallait entrer ; histoire qui m’enchantait à la lettre, jusqu’aux Rameaux, et me poignait ensuite bien cruellement.

Dans la simplicité de ces jours-là, j’ai été pleinement heureux. Le bonheur, ce n’est pas autre chose que l’amour, et moi j’avais celui du Bon Dieu et de maman. J’avais une chèvre et des chevreaux. Leurs gambades et leurs cabrioles me faisaient hurler de plaisir. J’étais Abel au bois dormant, et pas de Caïn dan mes environs.

La paix que le Seigneur donne, nous passait au-dessus de la tête et nous pénétrait le cœur de l’angélus de l’aube à l’angélus du soir. Nous étions à l’écoute de la cloche qui nous invitait à prier. Il arrivait que ma mère me demandât l’agenouillement et le silence. J’entendais alors voleter des anges dans le jardin. Oui, c’était ainsi, dans l’innocence de mes six ans, par les chemins de la ferveur. Rivières et chemins que j’ai beaucoup mis à contribution dans mes ouvrages. Ils me conduisent toujours à la sainte souvenance.

Quand vous évoquez la charité, vous dites : « Le pauvre, c’est mon frère et quelque part, c’est aussi mon sauveur. » Pouvez-vous nous en dire plus sur ce regard que vous posez sur les autres et sur vous-même ?

La charité, elle aussi, ce n’est pas autre chose que l’amour qu’on se doit à soi-même et aux autres plus encore. L’amour des pauvres – ces pauvres qui sont de tous les temps et de tous les pays et toujours plus nombreux de par la planète-, conduit à Dieu.

Avec la pauvreté, dont je ne me suis jamais débarrassé, je crois avoir connu quelque chose de ce que l’on appelle la misère. Elle a mauvaise réputation et peut être néfaste. Ma mère lui faisait face la salutation de l’ange à la bouche. Et puis, elle courait au moins pressé de ses travaux pour nous cacher ses larmes. Dans son dénuement, elle ne parlait que de la détresse des uns et des autres, et toujours cherchait à apaiser et à soulager les plus malheureux. Il est vrai que la charité marche avec la bonté. On y met de son cœur. Il est aussi conseillé d’y mettre de son âme.

Un poète m’a dit un jour : « Ta soi-disant pauvreté est avant tout littéraire. » Celui-là n’a jamais rien su d’un foyer sans feu, d’une table sans pain, de la sombre angoisse des lendemains qui déchantent. Je ne sais comment cela s’est fait : les pauvres pullulent dans mon œuvre. Je les connais. J’ai vécu au milieu d’eux. J’ai été l’un d’eux. Je les sais capables du pire quand ils sont à bout d’espérance, mais Dieu merci, toujours, toujours, « l’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. »

La guerre de 1939 a marqué votre enfance. Dans « Une enfance bretonne », vous relatez : « Le conflit avait à sa manière, bouleversé notre vie. En quelques semaines, nous vendîmes nos bêtes et nous nous retrouvâmes en ville, rue de Sené, dans une pièce séparée en cellules par des demi-cloisons. Dès que je mis le pied dans cette cave inhospitalière, je sus que le temps des grandes épreuves était arrivé. L’espace nous était tellement mesuré que maman devait déplacer la table pour ouvrir l’armoire. Pas d’eau courante, pas de chauffage, rien que l’antique cuisinière de fonte pour réchauffer notre soupe. » En quoi ce « cachot » que vous comparez à celui de Bernadette vous a-t-il façonné ? N’a-t-il pas aussi permis de voir de la « lumière » dans les petites choses du quotidien ? En quoi Bernadette vous touche-t-elle ?

Quand je me suis rendu, rue des Petits Fossés, avec ma mère et ma femme au cachot de la famille Soubirous, j’ai tout de suite pensé à notre « cave » de la rue de Sené de Vannes où nous avons vécu plus de huit ans. Ma mère manifestait de sa désolation en secouant la tête. Elle était toute pitié et se demandait comment on pouvait vivre, comment une famille nombreuse pouvait vivre dans une basse fosse de la surface de deux draps mortuaires. En sortant de cette « visite », nous avons échangé longtemps. Nous avons évoqué notre détresse, nos drames, nos maladies.

C’est dans cet infect placard que j’ai contracté – on dit : attrapé – la tuberculose qui, dans les années quarante, épouvantait comme aujourd’hui le Sida. Afin de me soustraire à notre « appartement », il fut décidé que je me rendrais au sanatorium de la Musse, à sept kilomètres d’Evreux. Ce fut là, dans un domaine qui avait appartenu à M. Louis Martin, père de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face, que, selon le mot de Claudel, je perdis connaissance. A mon réveil, je vis l’enfant des Buissonnets et sa couronne de roses. A la bibliothèque de l’établissement, je trouvai Histoire d’une âme et les poètes de mon parentage. Je n’allais plus me détacher, me séparer de ces gens-là. Non seulement ils m’enchantaient, mais encore ils m’apprenaient à guérir.

Ce fut donc dans l’adversité – la maladie, la guerre, l’éloignement où je me trouvais par rapport à ma petite famille – que je rencontrai la « petite » Thérèse. Je crois lui avoir toujours parlé d’amour. Un amour de neige brûlante.

Le même amour m’a conduit vers Bernadette que ma mère invoquait sans cesse, car elle avait été une petite paysanne ignorante comme elle. De ma Bretagne, je la voyais en pastourelle avec le don des sources. Un jour, Guy Rouquet m’a appelé sur les bords du Gave de Pau. Dans le même temps, les éditions du Champ Vallon, par l’intermédiaire de Luc Decaunes, me demandèrent de parler d’une ville de mon choix. Je le portai sur Lourdes. C’était moins l’histoire de la ville de Bernadette qui m’intéressait. Je crois l’avoir écrite à la vitesse de ma reconnaissance.

Dans ce livre intitulé « Lourdes », vous parlez ainsi de Bernadette. « Le matin, quand elle ouvrait la fenêtre donnant sur la cour sordide et de grande puanteur, Bernadette s’émerveillait d’un chant de grive et du passage d’une hirondelle. (…) Elle aimait les matins comme s’ils étaient annonciateurs de paix. Comme si le jour qui allait suivre devait transformer la terre entière, et les humains dans chacun d’eux. » Qu’aimez-vous dans le message laissé par Bernadette ?

Il y a un quart de siècle, Jean-Paul II se rendit à Lourdes et parla de la « Sagesse éternelle ». C’était une magnifique journée bigourdane. Le soleil étincelait le long du gave et soixante-dix mille pèlerins remplissaient la prairie du Rosaire. Certains d’entre eux, sur le rosier sauvage, au dessus de la Grotte, voyaient une irradiante créature en conversation avec Bernadette Soubirous, la fille du meunier.

Que disait cette dame encore inconnue à la pastourelle ? En utilisant la langue des bergers de la montagne, elle disait : « Que soy era Immaculada Conceptiou. » Ce qui se traduit par : Je suis l’Immaculée Conception. Curieusement, très curieusement, je suis entré dans cette confidence qui m’a bouleversé. Je me suis dit que j’allais écrire un livre sur cette rencontre du ciel et de la terre. J’ai tenu parole. Je me suis instruit d’une aventure vertigineuse et je suis entré, plein d’allégresse, dans le merveilleux chrétien.

Seigneur, vous faites merveille
Une mère immaculée
Nous sommes nés d’une reine
Qui nous connaît et nous aime
Et qui nous voudrait sauver.
Tous les enfants de la terre
Sont aimés d’un même amour
Va le dire à la bergère
A l’ouvrier du faubourg
Dieu nous a donné sa mère !

Merci, Bernadette, de nous avoir rappelé que nous touchons, sans le savoir, à l’invisible et qu’à chaque instant, nous sommes visités en grâce et en amour.

Vous racontez comment votre mère, venue de la campagne bretonne, a fait vingt heures de train pour « gouverner la charité de son coeur. » Elle circulait en « coiffe de Bretagne avec des allures de reine. » Vous la décrivez alors qu’elle se trouvait aux Sanctuaires : « Le spectacle des pleureuses, la houle des lamentations, les mains jointes et les coeurs repentis ne la détournaient pas de son devoir. Elle était là pour demander rémission pour les pécheurs, protection pour les siens. » Quelle place Lourdes a-telle occupé dans votre enfance ? Comment percevez-vous la cité mariale ?

Ma mère disait : « Avant de mourir, je veux voir Lourdes et Paris. » Nous nous sommes donné rendez-vous à la Grotte. Nous avons puisé de l’eau, lavé nos yeux, notre visage. Nous avons vu, oui, je crois que nous avons vu le rosier sauvage dont une pesée infinitésimale dénote une présence. Je crois que nous avons été surpris par le chœur des lamentations. Il est vrai que nous arrivions d’un pays qui a fait sien le mot de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Prie dans le secret de son cœur. » Et cependant, ces lamentations, ces implorations, ces chants, ces bras tendus vers la Vierge Marie, s’expliquent quand on songe aux errements du monde, aux dérèglements des esprits et à toutes les calamités qui en découlent.

Ce qui me bouleverse, ce sont les malades. Ils arrivent à la Grotte avec une flamme dans le regard. Ils savent qu’ils sont à la source de toute miséricorde et que paix et joie leur sera accordé dans ce monde ou dans l’autre.

Passionné d’histoire, vous avez aussi une âme de poète. D’où vient votre goût de la littérature, de la culture, de la poésie ? Comment définissez-vous la poésie ?

Les quelques poèmes que j’ai lus, enfant, à la petite école, ont décidé de ma vie. Je suis entré dans l’harmonie. Je veux dire par là, qu’une certaine musique m’a toujours mesuré le chemin. Je suis assez pauvre pour n’avoir jamais écrit pour gagner de l’argent. J’écris des poèmes pour vivre, pour bénéficier de ce que l’on a pu appeler : « un supplément d’âme », j’écris surtout pour être heureux.

La poésie, si elle devait tenir dans une formulation, je dirais que c’est un cillement d’étoiles dans une nuit sans limites. J’aime aussi à soutenir que c’est ce qui reste du dialogue Créateur-créature de l’Eden. On nous explique que cette conversation fabuleuse fut interrompue. Restent des mots, des accords qui gravitent très intensément dans les espaces. Un poète : Dante, Hugo ; un musicien : Bach, Mozart, peuvent en intercepter certaines résonances.

Tout jeune, à la manière de l’enfant Mauriac du Mystère Frontenac, je cachais mes poèmes entre les ressorts d’un vieux sommier. Puis je les brûlai. Ils méritaient de passer par le feu. A peine m’en étais-je débarrassé que le besoin d’en écrire d’autres me visita. J’en adressai à Hervé Bazin pour la Coquille, à Jean Markale, pour Escales. Ce fut Hervé Bazin qui, le premier, me publia et m’encouragea à le rejoindre à Paris. La poésie est toujours, si peu de bruit qu’elle peut faire dans ce monde de fous enragés, une merveilleuse aventure. La mienne m’est apparue comme une plus ardente prière.

Propos recueillis par Béatrice Rouquet
Photo : copyright : Jean-Pol Stercq

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