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P. André Cabes : « Dieu est plénitude et Il remplit de joie les cœurs disponibles »

Ancien recteur du Sanctuaire Notre-Dame de Lourdes, le Père André Cabes est aujourd’hui aumônier de la Maison Saint-Frai à Tarbes et exorciste diocésain. Avec foi, il nous répond sur le sens de la vie, et sur la manière dont nous pouvons accueillir la joie, selon les mots de Simone Weil : « On ne possède que ce à quoi on renonce. Ce à quoi on ne renonce pas nous échappe. En ce sens, on ne peut posséder quoi que ce soit sans passer par Dieu. »

Entretien :

Dans le livre « L’homme selon le Christ », de P. Lorigiola, on peut lire ceci : « Toute joie suppose un renoncement préalable. » Comment le comprendre ?

Cette parole me fait penser à la Vierge Marie qui est « pleine de grâce », et par conséquent « vide » de tout ce qui n’est pas la grâce. Si notre cœur est occupé, encombré, il ne peut pas recevoir Dieu qui se donne. Marie est cette petite femme qui n’appartient qu’à Dieu. Il déborde dans les cœurs qu’Il veut rejoindre. Le Père Joseph Bordes disait que le Bon Dieu aime les grottes, car il y a un creux, un vide. Dieu est plénitude, et Il peut remplir ce qui est vide, c’est-à-dire les cœurs disponibles.

« La joie est débordement de vie », dites-vous…

Il nous faut renoncer à tout ce qui est complicité avec la mort, comme la tristesse ou le repli sur soi, et devenir, à l’image des enfants, ouverts à la joie. Saint Séraphin de Sarov était ermite dans la forêt de Russie. Il a vécu des années de solitude, d’ascèse, de renoncement. Dans les pays orientaux, les familles aiment se rendre dans les monastères, et saint Séraphin recevait de nombreuses visites, notamment des enfants qui aimaient s’amuser avec lui. « Il est comme nous », disaient-ils. Ce saint rayonnait de vie, de joie… La joie se reçoit. Si on est plein de fausses joies, la « vraie joie » aura du mal à pénétrer. Souvenons-nous de la naissance de Jésus dans une étable à Bethléem ; la joie des bergers, des mages suscite chez Hérode, le durcissement, et chez les savants juifs, l’indifférence.

La sainte Famille nous est donnée en exemple…

La Sainte Famille est l’humanité à l’image de Dieu comme une petite Trinité sur Terre. Chacun est vide de soi, et dans le même temps, rempli de l’autre. Ce que je suis est renouvelé en permanence par ce que me donne l’autre. Ce que je suis est abandonné à l’autre.

Martine Delloye, déléguée LCE-Belgique, nous invite à « regarder la lanterne de saint Joseph » quand on cherche sa route ou que l’on est confronté à l’épreuve…

Saint Joseph existe pour les autres. Il veille sur la famille, où chacun a sa place. Dans nos sociétés, il est fréquent que l’on se définisse par rapport à soi-même. Saint Joseph nous appelle à exister par rapport aux autres. Marie a regardé Bernadette « comme une personne » ; de cette manière, Bernadette a été tirée de sa prison intérieure, en existant aux yeux de quelqu’un d’autre. Nous sommes à l’image d’un Dieu-Relation. Nous n’existons que pour la relation. Le diable, pour sa part, veut transformer la vérité des choses. Le diable nous fait douter de la beauté des liens ; il cherche à nous montrer que ces liens nous entravent, alors que ce qui nous constitue, doit se fonder sur l’amour. Seule la dépendance d’amour nous fait vivre. La vraie relation va faire exister l’autre. A l’origine de mon être, il y a cette rencontre d’amour. Quand bien même cette origine serait moins évidente, il y a toujours derrière ce Dieu qui me veut, qui veut une personne libre.

Saint Joseph, clôture de la cathédrale de Chartres (Photo Mgr. Jacques Perrier)

Que signifie « être une personne libre » ?

Etre libre, c’est savoir que nous dépendons d’un Amour, le fait de pouvoir y répondre et d’être responsable. Toujours, il faut nous arracher à ce qui nous enferme, à saisir cette main tendue venue d’ailleurs. Il faut s’arracher à ce faux « moi » fermé sur lui-même. Il ne faut pas se laisser enfermer dans la pire des prisons : celle de l’intérieur, celle où l’on devient un « moi » momifié. Si je m’arrache à ce faux « moi », j’éprouve une joie qui, en réalité, est une réponse d’amour.

Bernadette disait : « Je suis plus heureuse sur mon lit de douleur avec mon crucifix qu’une reine sur son trône… » Comment le comprendre ?

Cette vocation de Bernadette est celle de nous tous : être unis à Jésus. Jésus est la Vie, Il est Don. Le don refusé devient souffrance, mais Dieu continue quand même de se donner. Cette joie d’aimer, Il n’y renonce pas. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. » Il révèle la puissance de l’amour plus fort que la mort. C’est la plénitude de l’amour offert. A chaque fois que nous communions, nous retrouvons l’anéantissement de Jésus dans l’hostie, et aussi une puissance de vie nouvelle si nous l’acceptons. Le bonheur est de répondre à cet appel. Quand Moïse, Abraham, Samuel » sont appelés, ils répondent : « Me voici ». La Vierge Marie dit, pour sa part, « Je suis la servante du Seigneur. » Au pied de la croix, elle reste la Vierge du Magnificat, elle reste croyante. Même si le moment est douloureux, elle continue d’affirmer sa confiance en Dieu. Quand elle souffrait, on a attaché le crucifix sur la poitrine de Bernadette pour qu’il ne tombe pas. Elle disait : « Celui-là seul me suffit ». C’était la seule image qu’elle souhaitait garder. Des saints comme Jean de la Croix, Rita, Rose de Lima ont voulu communier, dans la souffrance, à l’amour de Dieu.

Sainte Bernadette dans sa châsse, à Nevers (Photo P. Cabidoche)

La souffrance est appelée à être transfigurée…

Des échecs, des déceptions, des maladies sont des situations de souffrance qui peuvent être transfigurées. Elles deviennent source de joie car elles sont offertes. Emmanuel Mounier, philosophe, a écrit des lettres à sa femme au sujet de leur enfant souffrant. Il lui disait : « Est-ce que nous serons dignes de ce petit Christ au milieu de nous ? » Le danger serait de s’habituer, à ne plus être ouvert l’autre.

Une amie de LCE disait, au moment de Noël, « l’Enfant Jésus nous remplit plus encore de ses grâces. »

C’est à la fois vrai et beau. L’enfance, c’est l’identité de Jésus. Il est l’enfant du Père.

Simone Weil disait : « Nous devons abandonner tous les désirs pour la vie éternelle, mais nous devons désirer la vie éternelle elle-même avec renoncement. L’attachement au salut est encore plus dangereux que les autres. » Comment le comprendre ?

Si je dis : « Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver », on opère un retour sur soi. Dieu devient un instrument au service du salut. On ne peut pas instrumentaliser Dieu ! Ce qu’il faut chercher, c’est l’amour. Si je suis attaché à sauver mon âme de manière égocentrée, j’oublie la gratuité d’un Dieu qui ne connaît que la relation, qui n’est qu’Amour. Si, sur son lit de douleur, on crie : « Seigneur, sauve-moi », on s’oublie pour s’en remettre à Lui. Dieu n’est pas Celui qui va nous ôter la douleur, Il va la prendre avec Lui. Les vrais martyrs ont traversé la souffrance. On peut se souvenir de ces mots de la Bible : « Ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père », ou encore : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. »

 

Jésus a dit à sœur Faustine : « Il y a des âmes qui méprisent Ma grâce, ainsi que toutes les preuves de Mon amour. Elles ne veulent pas répondre à Mon appel, elles vont dans le gouffre infernal. Cette perte d’âme me plonge dans une tristesse mortelle. Ici, je ne puis porter secours à l’âme, bien que je suis Dieu. Elle Me méprise. Car profitant du libre arbitre, on peut Me mépriser ou M’aimer. Toi, dispensatrice de Ma Miséricorde, parle au monde entier de Ma bonté et ainsi tu consoleras Mon Cœur. »

Une seule chose que le Tout Puissant ne peut pas faire, c’est de forcer un cœur à s’ouvrir. Il ne cesse d’appeler, Il ne renonce pas. Celui qui souffre le plus, c’est Lui. Il nous a créés, Il ne peut plus se passer de nous. Si nous le refusons, nous le faisons souffrir.

 

 

Image du Christ peint par Sainte Faustine. Interprétation moderne dans la cathédrale de Bangalore, Inde (Photo : P. Cabidoche)

Comment s’exprime le refus envers l’Amour de Dieu ?

On peut refuser cette relation avec Dieu, comme les païens qui disent : « ce qui m’intéresse, c’est moi » ou encore comme les pharisiens qui pensent être fidèles à Dieu mais qui mettent la foi au service de leur justice, et agissent avec hypocrisie. Ils ne permettent pas à Dieu d’être Dieu. Ils agissent comme s’ils étaient eux-mêmes Dieu, pour leur plaisir et pour leur justice qui n’a pas d’autre référent qu’eux-mêmes. Ils sont fidèles à leur idée de Dieu, et c’est dangereux.

Mère Teresa disait : « Que rien ne puisse jamais vous remplir de douleur au point de vous faire oublier la joie de Jésus Ressuscité. »

La souffrance peut nous enfermer, nous empêcher de nous ouvrir à cette relation. Il faut désirer être tout le temps en relation obéissante avec Dieu ; Il nous faut l’écouter. La souffrance peut être écrasante ; on ne peut accueillir la joie que si nous maintenons vivante cette relation avec le Seigneur. Jésus est toujours en relation avec son Père. La joie de Jésus Ressuscité ne vient pas après coup. Elle fait partie du parcours. Jésus reste le vivant. La mort même est l’expression de sa vie ; il est mort d’amour : sa mort est don. Il est le plus vivant de nous tous. « Entre tes mains, je remets mon Esprit », dit-il au moment de mourir. Il meurt entre les mains du Père et Il ressuscite.

Quelle place peut avoir la louange dans notre vie de prière et de foi ?

Nous sommes le fruit de la grâce. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? », dit saint Paul. Si nous nous coupons du don, nous ne vivons plus. Il faut laisser cet amour se déployer en nous. Nous devenons « action de grâce ». La vie, c’est l’accueil et la réponse au don de Dieu. « Je te bénis d’avoir révélé cela aux pauvres. » Les ‘riches’ possèdent le don ; or le don, nous ne le possédons pas. La joie du don, c’est de remercier. Saint Paul nous invitait à vivre dans l’action de grâce.

Vous dites qu’au Ciel, nous serons débordants d’action de grâce…

Au cœur de la vie chrétienne, l’eucharistie est l’action de grâce du Fils au Père. Je suis arraché à moi-même, rendu à moi-même comme enfant de Dieu. Au Ciel, ce sera toujours plus grand, toujours plus beau. Nous n’immobiliserons pas ce don comme nos premiers parents, Adam et Eve, qui ont mis la main dessus et qui ont mangé le fruit. Dieu est la Vie. La Vie se renouvelle tout le temps. En ce monde, les forces de mort veulent empêcher la vie de se déployer. L’égoïsme et la peur nous guettent. Nos premiers parents n’ont pas cru à la miséricorde : ils se sont cachés. La miséricorde exprime la puissance novatrice de l’amour. Dieu se sert de ce qui est contraire à l’amour, le péché, pour en souligner plus encore la force : c’est son amour qui se manifeste quand il donne sa vie sur la Croix. La Croix devient source de vie nouvelle. La Croix descend dans nos refus de l’amour pour en faire jaillir un amour plus grand. Dans la prière du Notre Père, nous sommes invités à accorder une grande place au pardon, car « si vous ne pardonnez pas à vos frères, votre Père non plus ne vous pardonnera pas. » Accueillons le don de Dieu, toujours neuf et différent ! Dieu est le Dieu des Vivants : sa charité est inventive, son amour est débordant.

 

Propos recueillis par Béatrice Rouquet

2 Responses

  1. … Dès lors que nous sachions l’ accueillir sans même le demander ni l’ attendre, sachons accueillir simplement tout ce qui nous survient comme « Grâce  » ; dès lors que nous sachions et ayons à cœur de le rendre simplement « Juste », ayons la conscience d’ être, en chaque petite infinie poussière de ce que nous sommes et faisons, « Action de Grâce » ; dès lors enfin que nous nous y abandonnions sans retour et mûs par ce Principe de « FOI » , et de même en chaque instant et chaque infinie petitesse de ce que nous sommes et de ce en quoi nous agissons, sachons dans le souci d’ Humilité et oublieux de soi, sans cesse et toujours et encore  » Rendre Grâce  » , sans jamais nous en lasser, sans jamais y renoncer … Et nous sommes Guéris ! …
    Stéphane ( LCE VENDÉE – La Flocellière en SÈVREMONT )
    … Aux balbutiements de l’ Aurore de ce Mardi 2 Février de lumière notre An de Grâce 2021 entre tous … Au gré des heures, au fil des jours, au long des mois, au cours des Ans, parmi les Âges … Et par-delà le Temps …

  2. Merci à tous et chacun , cette réalité est vérité .en union de prière .au plus fort d nos doutes Joseph, Marie , Bernadette nous aident à nous relever .
    LCE 51

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