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P. André Cabes : « Dieu est venu épouser son peuple »

« La crainte de Dieu est une disposition donnée par l’Esprit Saint. On pourrait comparer ce sentiment à celui de la dépendance de l’enfant vis-à-vis d’un adulte, dont la bienveillance libère du sentiment d’être seul. Nous sommes placés sous le regard d’un Amour Tout-Puissant, et c’est en renonçant à nous-mêmes et en le suivant, que nous « gagnerons » la vie. Selon saint Paul, il nous faut tenir contre les manœuvres du diable et c’est là que se joue le vrai combat. Bien souvent, nous sommes aveugles sur nos propres péchés, sur nos propres endurcissements. Sachons combattre contre l’égoïsme, en y répondant par le don. La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. Nous sommes fragiles mais nous pouvons bâtir notre maison ‘sur le roc’ et non sur le sable. C’est ce chemin que Dieu propose à notre liberté. Il est notre ‘forteresse’, notre ‘citadelle’, notre ‘rocher’. Si l’homme s’écoute soi-même avant d’écouter Dieu, alors sa maison s’écroule quand les vents se déchaînent » explique le Père André Cabes, ancien recteur du Sanctuaire Notre-Dame de Lourdes. Quelle relation cultivons-nous avec Dieu ? Ne plaquons-nous pas parfois nos propres vues humaines sur Celui qui est inaccessible, à la fois ‘le Tout-Autre’ et le ‘Tout-proche’. Ne trouve-t-on pas dans l’Ancien Testament des repères pour comprendre comment Dieu s’est révélé à son peuple qui, bien des fois, s’est détourné de Lui et a cédé au culte de idoles ? C’est le point de départ d’une discussion avec le Père André Cabes, qui est aujourd’hui exorciste diocésain et aumônier de la maison Saint-Frai à Tarbes. Entretien : 

 

De quelle manière Dieu a-t-il manifesté sa proximité avec son peuple quand, dans l’Ancien Testament, Il a parlé par les prophètes ?

Dans la lignée des prophètes, Dieu est venu épouser son peuple. Il est patient. Il veut libérer son peuple qui souffre, qui se détourne de Lui.  Dieu veut nous conduire jusqu’à Lui. Il se découvre à son peuple de manière toujours inattendue. On peut se référer au cantique d’Isaïe (62, 3-5), qui le dit de façon très explicite :

« Tu seras une couronne brillante
dans la main du Seigneur,
un diadème royal
entre les doigts de ton Dieu.

(…)
Comme un jeune homme épouse une vierge,
tes fils t’épouseront.
Comme la fiancée fait la joie de son fiancé,
tu seras la joie de ton Dieu. »

L’image de l’époux est aussi très présente dans les prophéties d’Osée (2, 16…22) :

« C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. Et là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du Val d’Akor (c’est-à-dire « de la Déroute ») la porte de l’Espérance. Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle est sortie du pays d’Égypte. (…)

Vous dites que ‘Dieu ne reste pas extérieur à son peuple’, mais aussi qu’Il prend plaisir à ton bonheur’ selon les paroles du Deutéronome…

On peut se référer au Psaume 33 : « Le Seigneur entend ceux qui l’appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre. Il est proche du cœur brisé, il sauve l’esprit abattu. Malheur sur malheur pour le juste, mais le Seigneur chaque fois le délivre. Il veille sur chacun de ses os : pas un ne sera brisé. Le mal tuera les méchants ; ils seront châtiés d’avoir haï le juste. Le Seigneur rachètera ses serviteurs : pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge. »

Ne nous arrive-t-il pas de plaquer de fausses images sur Dieu ?

Nous pouvons faire de Dieu un dieu païen, à notre service. Que de fois entendons-nous : « Si Dieu existait, cela ne serait pas … » On reflète sur Dieu la projection de nos désirs ou de nos peurs. Dieu profite de toutes les circonstances pour ouvrir notre cœur à la vérité de son être, mais c’est un combat. Bernadette avait saisi le vrai visage du Christ, avant même d’en être instruite par le catéchisme. L’abbé Peyramale avait dit : « Tu ne sais rien mais tu comprends tout. » Dans le carnet des notes intimes, on perçoit ce don de Dieu qu’elle reçoit en son cœur. Tout au long de sa vie, elle a approfondi sa connaissance de la Parole de Dieu. Elle a appris à mettre des mots sur ce qu’elle avait déjà compris. Ce n’est pas parce que l’on connaît des formules que l’on est plus proche de Dieu, mais le Credo, par exemple, peut nous aider à exprimer notre foi.

La lecture de la Bible est-elle importante ?

Saint Jérôme disait que ‘ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ’. Dieu se donne à travers l’histoire. La Bible, il faut la lire à partir de Jésus crucifié, à partir du silence, de l’impuissance, à partir de cet acte qui éclaire le reste. Dieu nous prend par la main. Il ne faut pas oublier que Jésus est mort par amour, qu’il y a la Croix glorieuse. La première chose à poser, c’est d’écouter, de se rendre disponible. Quand Jean-Baptiste baptisait dans le Jourdain, les gens sont descendus jusqu’à lui. Il faut faire silence, observer, puis se mettre en route. Ensuite, il y a la persévérance et la fidélité.

Peut-on croire en un Dieu qui serait tellement miséricordieux qu’il ne nous demanderait pas la conversion ?

En tout, il faut garder le bon sens. Saint Paul, dans sa lettre aux Romains, explique que, si nous aimons Dieu, nous n’allons pas chercher à pécher. Bien plus que l’obéissance à un code, c’est l’obéissance à l’amour. Le code peut être utile pour nous aider à repérer ce qui est bon, et ce qui l’est moins. Il ne faut pas compter uniquement sur notre subjectivité. Le péché, c’est un déficit d’amour. Etre chrétien, c’est apprendre à devenir enfant, se laisser engendrer par cet amour qui crée et sauve. Il ne faut pas être endormi sur nous-mêmes, ce serait la paix des cimetières. Il faut une paix vivante, se laisser arracher au mal qui détruit et qui empêche de vivre. Jésus dit à ses disciples que la paix qu’Il donne n’exclut pas les souffrances, mais il les exhorte à garder courage, car il a « vaincu le monde. » Dieu n’est pas resté lointain ni étranger à nos souffrances. Il a pris chair en Jésus Christ : l’unique parole est celle de la Croix. Nos difficultés nous font ouvrir les yeux sur Dieu qui se donne.

Après la résurrection de Lazare, quand les pharisiens, les grands-prêtres et surtout Caïphe ont décidé d’éliminer Jésus : « Il cessa de circuler en public parmi les juifs, il se retira dans la région voisine du désert, dans une ville appelée Éphraïm (aujourd'hui Taybeh), et il y séjournait avec ses disciples. » (Jn 11,54)

Que doit-on comprendre quand Dieu dit que le seul péché qui ne sera pas remis est le péché contre l’Esprit ?

A chaque instant, il nous faut demander la grâce de ne pas être sourds et aveugles aux appels que le Seigneur nous adresse. Nous pouvons nous référer à la parabole de l’homme riche qui, toute sa vie, a joui des biens de l’existence, vivant dans l’opulence et ne se souciant pas du pauvre Lazare, qui se trouvait à sa porte, malade et souffrant. Lorsque la mort les emporte l’un et l’autre, leur sort s’inverse. L’homme riche est conduit en enfer ; le pauvre Lazare est emporté par les anges vers le paradis. En nous décrivant cette parabole, Jésus ne veut pas mettre les gens dans des cases. Que s’est-il passé ? Durant sa vie terrestre, l’homme riche n’a pas vu Lazare. Il ne lui a pas fait de mal, au sens premier du terme ; il l’a tout simplement ignoré. Il ne savait rien de la vie de misère de Lazare. Mais ce que Jésus dénonce, c’est la vie égoïste de l’homme riche, uniquement repliée sur elle-même. Quand, dans les tourments de la géhenne, il voit Lazare, il ne se réjouit pas pour lui. Il ne bénit pas le Seigneur, comme il aurait dû le faire en se réjouissant du sort réservé à Lazare. S’il l’avait fait, il aurait été sauvé lui aussi. Au contraire, à ce moment-là, il ne se préoccupe que de lui. Il demande à ce que des messagers soient envoyés à sa famille, pour qu’ils changent de comportement et ne viennent pas dans ce lieu de torture. Sa demande ne porte encore que sur lui et les siens, il est « enfermé » en lui-même. Il n’est pas ouvert à la vérité du don. On peut transposer cette attitude avec d’autres : celle d’Adam et Eve qui, après la première faute, se cachent aux yeux de Dieu. Si au contraire, ils s’étaient jetés dans les bras de Dieu, ils auraient été sauvés. De même pour Caïn, jaloux de son frère Abel. S’il avait dit au Seigneur : « Je te bénis de regarder Abel », il aurait été sauvé.

Pour être chrétien, ne faut-il pas cultiver un sentiment de révolte au regard des misères de toutes sortes ?

A travers les pauvres, Dieu nous donne l’image de Lui-même. Camille de Lellis se faisait bénir par les malades qu’il servait. Il leur demandait le pardon de ses péchés. Il faut que la révolte, ce ‘non’, débouche sur un ‘oui’. Sinon, la révolte est stérile. Espérer, c’est un devoir. Espérer, ce n’est pas être spectateur de la marche du monde et espérer que le match va se retourner. Nous devons y participer. Nous sommes engagés. Nous sommes tous liés, par la prière, par la conversion personnelle. Le Seigneur continue de s’engager jusqu’au bout. Quand Jésus meurt, il meurt aussi pour Judas. Contemplons le regard de Jésus sur ses disciples ; il les a aimés avec une infinie patience, tout en ayant un cœur ferme et docile à la volonté du Père.

Dieu nous donne-t-Il des signes de sa présence ?

Dieu ne fait que ça. Le tout c’est d’ouvrir les yeux. Il nous fait signe dans la création, dans l’histoire, dans l’être humain. Dieu est là, Il n’a pas abandonné sa créature.  Il faut être pour les autres le reflet du regard de Dieu sur nous. Il nous faut être de ceux qui se réjouissent de la présence de l’autre. Un philosophe allemand aimait à dire : « C’est bon pour moi que tu sois là ». Il faut aimer chacun à travers nos paroles et nos comportements. C’est notre manière de dire notre foi en Dieu.

Propos recueillis par Béatrice Rouquet

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