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André Cabes : « Nous sommes créés par amour et nous ne pouvons vivre que par amour »

« La racine du mal, c’est l’homme qui se gonfle par orgueil ou se dégonfle en se laissant aller au découragement », explique le Père Cabes. Là où disparaît la connaissance du caractère sacré de l’être humain, toutes les dérives sont possibles ; le Christ n’est plus au centre. On essaie alors de s’auto-justifier, sans prendre en compte que nous sommes tous concernés par le seul défi de créer des liens, et de promouvoir la paix, la justice, la vérité.

« Que de fois mettons-nous l’appartenance au groupe comme seule référence : on agit par mimétisme ; on cherche le maximum de likes sur les réseaux sociaux ; dans nos lieux de vie, dans nos corporations, on veut avoir raison, sans considérer d’autres réalités. Le danger que l’on court, c’est le ‘moi’ hypertrophié. Pour ne pas être exclu du groupe, on se fond dans la masse ; on suit les tendances ou on les instrumentalise. Pourtant combien est-il nécessaire de  regarder son propre cœur et de reconnaître ses failles », poursuit-il.

Moïse reçoit les tables de la Loi (Alte pinakotek - Munich)

« On doit la vie à une multitudes de personnes, qui nous aident à nous construire, à espérer. Or, souvent, on ne veut rien devoir aux autres. On se coupe de ses racines. La vérité de l’amour n’est plus première. On s’enfonce dans une impasse. La parole peut alors avoir un pouvoir destructeur. De toute éternité, Dieu est le Verbe, Dieu est don. Il faut que nous nous ressourcions dans la Parole originelle. Quand Dieu dit, Il agit : Il parle et le monde est créé, Il parle et les tables de la Loi nous sont données, Il parle et le Verbe se fait chair. Nous sommes faits pour annoncer les Béatitudes. Mais sommes-nous toujours fidèles à ce Dieu qui nous aime et qui est un Dieu de miséricorde ? »

« Dieu descend là où nous sommes, là où nous souffrons, là où nous nous égarons. Il veut nous sortir de nos ténèbres, de nos idoles, de nos péchés. Il ne cherche pas à nous accabler, et à faire le compte de nos fautes. Toujours, il veut nous redresser. Savons-nous lui donner la place qui lui revient ? Le Pape François parle de la colonisation idéologique, dans une société où, bien souvent, la voix de l’Eglise n’est plus entendue dans les grands débats éthiques ou sociétaux. La joie de Dieu, c’est l’homme debout. Il nous appartient de toujours  rechercher la justice et la vérité, mais aussi de former notre conscience, tout en nous appuyant sur la grâce de Dieu », poursuit le Père Cabes.

Dans le catéchisme de l’Eglise catholique, il est bon de relire le chapitre qui concerne « la vocation de l’homme, la vie dans l’esprit », sur le jugement erroné. Il y est rappelé que « la conscience est le centre le plus intime et le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est le seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »

On peut relever aussi que « l’ignorance du Christ et de son Evangile, les mauvais exemples donnés par autrui, la servitude des passions, la prétention à une autonomie mal entendue de la conscience, le refus de l’autorité de l’Eglise et de son enseignement, le manque de conversion et de charité peuvent être à l’origine des déviations du jugement dans la conduite morale. »

Jugement Dernier -église de Vielle-Louron (Hautes-Pyrénées . Photo Philippe Cabidoche (D.R.)

Le Père André Cabes témoigne : « A ceux qui disent ‘moi, je ne tomberai jamais dans ce travers, je ne commettrai jamais une injustice, je ne serai jamais complice du mal’, il est bon de souligner qu’ils ont été, peut-être, préservés par leur éducation, par les conditions dans lesquelles ils ont grandi. Toutefois, ils ne doivent pas en tirer orgueil car, en pensant qu’ils doivent tout à leurs seuls mérites, ils manifestent ainsi qu’ils n’ont pas besoin d’être sauvés. »

Aussi est-il utile de relire « Confessions d’une religieuse » de Sœur Emmanuelle qui, disant sa compassion pour les détenus, qu’elle regardait comme des frères, elle écrivait (cf. page 250) : « Au fond, d’où vient la destinée ? En grande partie de l’environnement. Cela m’a amenée à leur dire ceci : « J’aurais pu être à votre place, si j’avais eu à affronter vos tentations ; et vous à la mienne, si vous aviez été, comme moi, préservés. »

Aussi, nos destinées sont étroitement liées ; chacun peut agir pour autrui, en se montrant solidaire et fidèle à son baptême dans le Christ. A la suite de saint Paul, nous pouvons entendre ces paroles de Vie : « Nous vous en prions, frères : avertissez ceux qui vivent de façon désordonnée, donnez du courage à ceux qui en ont peu, soutenez les faibles, soyez patients envers tous. Prenez garde que personne ne rende le mal pour le mal, mais recherchez toujours ce qui est bien, entre vous et avec tous. Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance ; c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. »

Quelles responsabilités sont les nôtres pour avancer sur le chemin de la vérité ? Tout ne commence-t-il pas par une attitude miséricordieuse, qui à l’instar du Bon Samaritain de l’Evangile, consiste à prêter attention à celui que nous rencontrons ? Le langage n’est-il pas aussi un moyen d’utiliser notre liberté pour créer ensemble un élan plus grand vers les Béatitudes, telles que nous l’enseigne Jésus pour entrer dans le Royaume de Dieu ? C’est le point de départ d’une discussion à bâtons rompus avec le Père André Cabes, aumônier de la maison Saint-Frai à Tarbes et exorciste diocésain.

Vous aimez à dire une parole qui pousse à la réflexion :  » Ne jette pas un caillou dans la forêt, tu ne sauras pas combien d’oiseaux tu as pu tuer… »  N’est-ce pas à dire que le mal que nous commettons, même sans en avoir conscience, peut avoir des conséquences ?

Il est un moyen de commettre le mal, qui est insidieux mais redoutable : la calomnie. Le diable est celui qui accuse, qui divise. Pour s’en défaire, il faut faire silence, prier. La vie des saints, parmi les saints ordinaires de notre entourage, nous attire sur le chemin de Jésus. La prière est un canal qui ouvre un chemin vers le ciel. Saint Grégoire expliquait comment, désireux de ne pas se mêler aux conversations superficielles, il s’est rendu compte que, dans le monde, on ne peut se mettre complètement de côté, et qu’à la fin des fins, on finit par prendre plaisir à ces bavardages peu recommandables. Il a alors demandé que l’on prie pour lui, pour qu’il puisse guider ceux qui lui étaient confiés. Dans l’une de ses lettres, saint Jacques nous interpelle : « Mes frères, si l’un de vous s’égare loin de la vérité et qu’un autre l’y ramène, alors, sachez-le : celui qui ramène un pécheur du chemin où il s’égarait sauvera son âme de la mort et couvrira une multitude de péchés.« 

De quelle manière pouvons-nous témoigner de notre Amour ?

Jésus a revêtu la condition du serviteur ; durant toute sa vie terrestre, il n’a cherché qu’à accomplir la mission pour laquelle le Père l’avait envoyé. Sachons nous mettre à son école, en nous confiant à la prière de Marie. Témoigner que l’on aime, ce n’est pas chercher son avantage personnel. Dans son Evangile, Jésus nous dit qu’il a envoyé ceux qui sont ses disciples, comme des brebis au milieu des loups. Lui-même se définit comme  » le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis » : « Je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père (…). Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. » Jésus a toujours montré sa proximité avec tous : nous sommes tous appelés à la conversion, même le dernier des pécheurs. Thérèse de Lisieux voulait consacrer sa vie, sur terre et dans le ciel, à conduire des âmes à Jésus. Aussi, a-t-elle prié avec ferveur pour la conversion de Pranzini, un grand criminel qui, condamné à mort, risquait de mourir sans être revenu à Dieu. Au moment où ce dernier montait sur l’échafaud, Thérèse de Lisieux a reçu le signe qu’elle attendait et qui lui a assuré que Pranzini avait retrouvé le chemin du salut. Dans le journal qui relatait l’événement, elle a appris avec émotion qu’avant de mourir, il s’était emparé du crucifix qu’on lui tendait et, par trois fois, avait baisé les plaies sacrées du Christ. 

 

Soeur Emmanuelle à Lourdes (août 2004)
Christ glorieux - église de Jézeau (Hautes-Pyrénées) - Photo P. Cabidoche (D.R.)

Vous mettez l’accent sur le fait que nous devons nous méfier de nos propres convoitises, et que par notre égoïsme, nous pouvons commettre le pire. Quel est le regard de Dieu sur nos limites ?

Nous pouvons être pleins d’illusions sur nous-mêmes ou remplis d’orgueil. Mais si nous ouvrons les yeux, si nous connaissons notre péché, nous sommes appelés à nous accuser, non pas devant les tables du Sinaï, mais devant Celui qui me les donne. Sinon, si nous ne nous placions pas sous ce regard d’un Trop Grand Amour, nous aurions de quoi désespérer. Gardons à l’esprit que la vie est un cadeau, que je dois discerner parmi tout ce qui m’est proposé. Il faut connaître ce qui m’aidera à grandir ou ce qui va me rapetisser et détruire les autres. Evitons de nous enfermer dans des idéologies. Si nous acceptons la relation, nous pourrons avancer. Nous ne sommes pas perdus dans le désert. Quelqu’un nous parle : on peut avoir une relation vivante avec Dieu par une vie de charité et la connaissance des Ecritures, ou alors suivre notre conscience pour peu qu’elle soit droite et éclairée… La conscience est irremplaçable et se fait en lien avec les autres.

Mon frère, le Père Jean-Luc Cabes, avait une ligne de conduite dans tout ce qu’il entreprenait : le ‘Toi avant moi’.  Les Béatitudes nous ouvrent ce chemin : le pauvre sait qu’il ne peut se suffire à lui-même : j’ai besoin de l’autre ; j’ai besoin de toi… Le pauvre est dans une situation de dépendance, mais à ce stade, cela reste insuffisant : il faut préserver la relation avec Celui qui va lui donner la vraie richesse, qui consiste à aimer et à être aimé. C’est un don gratuit. Nous sommes créés par amour et nous ne pouvons vivre que par amour. Aimer n’est pas toujours facile ; on a toujours une tendance à l’égoïsme, à l’orgueil ou au découragement. Regardons l’Evangile et faisons mémoire des miracles que sont les conversions de Matthieu, le collecteur d’impôt, qui a été appelé à suivre Jésus ou encore de Zacchée, qui entraîné par sa curiosité à connaître Jésus, a converti sa vie, et a redonné ses richesses à ceux qu’il avait lésés. Le défi de toute vie est de s’ouvrir… Combien de saints en ont-ils témoigné, parmi lesquels Charles de Foucault, qui avant de partir explorer le Maroc, a mené une vie dissolue. Et pourtant, sa quête lui a permis d’être à son tour témoin et annonciateur de vie. Comme eux, comme tous les saints, nous sommes appelés. Soyons assez pauvres pour faire la place à Dieu.

Propos recueillis par Béatrice Rouquet

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